Sud Touraine. Un petit Canada à Loches

vue de la ville de tours en 1787
Vue de la ville de Tours en 1787 (peinture de Charles-Antoine Rougeot, Musée des Beaux-Arts de Tours, domaine public)

Située au cœur de la Brenne, aux marges du Berry, l’ancienne abbaye de Méobecq avait été rattachée, au 18e siècle, à l’évêché de Québec, au Canada, qui en percevait les revenus. Après la chute de Montréal (8 septembre 1760), au début du régime britannique, le chapitre de Québec confiait encore ses intérêts en France à son doyen, le chanoine canadien Joseph Marie de La Corne, dernier abbé de Méobecq. En avril 1767, l’abbé de La Corne écrivait à un membre de sa famille resté au Canada : « Il y a déjà quantité de familles canadiennes établies et qui forment un petit Canada, ils s’y plaisent très fort et s’y amusent au mieux à présent. ». Il parlait de la petite ville de Loches et de sa région, à environ 60 km au nord de l’abbaye de Méobecq, où se réfugiaient déjà nombre d’officiers canadiens et leurs familles, tous nobles. Car si le Lochois attirait à ce point la noblesse canadienne, dans le sud de la Touraine, sans doute le devait-il beaucoup à l’abbé de La Corne. Voici pourquoi…

ancienne abbaye de méobecq
Eglise abbatiale (ancienne abbaye) de Méobecq, dans l’Indre (auteur Jean Faucheux, licence CC BY-SA 3.0)

Après la capitulation de Montréal, les militaires, leurs familles et d’autres civils de la colonie ont migré massivement vers la France. A leur arrivée à Rochefort, les militaires n’étaient toutefois pas tous logés à la même enseigne, selon leur appartenance aux troupes régulières ou de la marine. Le texte de la capitulation de Montréal était très clair. Les troupes du Canada ne devaient plus servir au cours de la même guerre. Les troupes régulières ont alors été envoyées à Poitiers où elles ont reçu une nouvelle affectation, loin du théâtre de la guerre. Pour les troupes de la marine, la perspective était souvent plus sombre. Devenus inutiles et à charge, les soldats et sous-officiers de la marine, dont certains étaient canadiens, ont été congédiés à Rochefort, en dix jours, et devaient rapidement subvenir à leurs propres besoins.

Quant aux officiers de la marine, tous nobles et la plupart canadiens, le gouvernement leur a consenti ce qu’on a appelé la « demi-solde », dans l’attente, souvent vaine, qu’on leur confie une nouvelle affectation. L’ordonnance royale du 24 mars 1762 leur enjoignait d’ailleurs de résider en Touraine où, disait-on, le bas prix des denrées pouvait leur faciliter le moyen d’exister. Bien entendu, en rassemblant les officiers nobles en Touraine, le roi songeait plutôt à s’assurer de leur conduite pendant leur séjour en France. C’est donc bien en Touraine que s’est formé ce que l’abbé de La Corne appelait le « petit Canada ». Mais pourquoi à Loches ?

Un petit Canada dans le Lochois

portrait de l'abbé de la corne
Portrait de l’abbé Joseph Marie de La Corne de Chaptes (auteur anonyme, 1750-1800, M22335, Musée McCord Stewart)

Le choix de Loches s’explique d’abord par l’origine lochoise de plusieurs familles émigrées en Nouvelle-France, si bien que plusieurs officiers ont naturellement trouvé refuge auprès de leur famille étendue. C’est tout particulièrement le cas de Georges de Gannes, capitaine des troupes de la Marine, aide-major de Trois-Rivières, né tout près de Loches, à Dolus-le-Sec. Cependant, il ne fait aucun doute que l’influence de l’abbé de Méobecq a été déterminante. La carrière de l’infatigable abbé a d’ailleurs pris un nouvel essor après la capitulation de Montréal. Très vite doté des pouvoirs de vicaire général, il jouera un rôle majeur à la cour de Londres, pour maintenir l’église catholique au Canada, tout en continuant de veiller, à Paris, aux intérêts du chapitre de Québec.

En parallèle, l’abbé de La Corne s’occupait toujours de multiples affaires concernant les particuliers canadiens, à l’exemple de son frère Luc, capitaine des troupes de la Marine et négociant en fourrures. Nombreux étaient les Canadiens qui s’adressaient à lui en toute confiance pour leurs achats en métropole, sans toujours se soucier du sort de la colonie. L’exemple du sieur Godefroy de Tonnancour, procureur du roi et marchand à Trois-Rivières, est éloquent. Ce personnage important ne manquait pour rien au monde sa commande annuelle de produits à envoyer au Canada, manifestement convaincu que les habits, perruques, lunettes et autres rasoirs qu’il commandait en France étaient de meilleure qualité ou plus élégants qu’au Canada. En tout cas, il s’était parfaitement adapté au nouveau pouvoir britannique et pouvait toujours compter sur l’aide précieuse de son obligeant commissionnaire et ami.

hôpital de loches ancien hôtel dieu
Hôpital de Loches, ancien Hôtel-Dieu (auteur Arcyon37, licence CC BY-SA 3.0)

C’est donc fort logiquement que l’abbé de La Corne s’est démultiplié pour accueillir tous ses amis canadiens qui émigraient en France, en particulier dans le Lochois qu’il s’efforçait de faire connaître. Il a aussi montré beaucoup de sollicitude vis-à-vis des membres de sa propre famille. Ainsi, en 1766, grâce à ses bons offices, sa sœur Marie Anne, religieuse à l’Hôpital général de Québec, était admise comme pensionnaire à l’Hôtel-Dieu de Loches, en compagnie de sa nièce Elisabeth et d’une cousine religieuse[1]. Décédé en décembre 1779 à Loches, ce grand diplomate a sans conteste marqué l’histoire de l’église canadienne. Il n’en demeure pas moins l’inlassable artisan de la formation d’un mémorable « petit Canada » en Touraine.

Sources

Drolet, Yves ; Dictionnaire généalogique de la noblesse de la Nouvelle-France, 3ème édition ; Editions de la Sarracénie, Montréal, 2019, p. 399, 402.

Larin, Robert ; Canadiens en Guyane 1754-1805 ; Septentrion (Québec), PUPS (Paris), 2006.

Mouhot, Jean-François ; Des « Pieds-blancs » venus du froid ? Les réfugiés canadiens à Loches et en Touraine à la fin du 18e siècle ; Société des Amis du Pays Lochois, n°19, janvier 2004.

Oury, Guy-Marie ; L’Abbé de la Corne de Chaptes ; Les cahiers des dix, n°44, Les Editions La liberté, 1989.

Pelletier, Jean-Guy ; Joseph-Marie de La Corne de Chaptes ; Dictionnaire biographique du Canada, Université Laval/University of Toronto, 1980, consulté le 8 septembre 2022.


[1] Guy-Marie Oury, Dans les prisons de Loches – Elisabeth de la Corne, Les Cahiers des dix, n°46, Les Editions La Liberté, 1991, p.89-90.